lundi 3 décembre 2018

Mémoires de diplomates - Claude Martin, La diplomatie n’est pas un dîner de gala


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Claude Martin, La diplomatie n’est pas un dîner de gala. Mémoires d’un ambassadeur. Paris-Pékin-Berlin, Editions de l’Aube, Paris, 2018, 964 pages

Le récit de Claude Martin est exceptionnel à plus d’un titre et la formule de Pierre Haski est fort juste (comme souvent), qui en fait une lecture « recommandée sinon obligatoire ». Si l’ouvrage est, de l’avis général, supérieur à la moyenne des mémoires d’ambassadeurs, c’est d’abord parce qu’il n’est pas tout à fait cela. Carnet de voyage, chronique politique de cinquante années de diplomatie sous la Ve République, déclaration d’amour à la Chine d’un homme qui ne fait que suivre les soubresauts d’Orient même lorsqu’il est en charge des affaires européennes… Il faut saluer aussi l’éditeur, qui en accepta les 964 pages en faisant le pari réussi qu’elles seraient un coup de maître.

L’aventure s’ouvre sur la fine équipe de la toute nouvelle relation diplomatique franco-chinoise après la reconnaissance de 1964, et s’achève sur la disparition de Paul-Jean Ortiz en 2014. De Malraux cherchant, à Pékin et malgré la gêne des Chinois, à « revoir les copains » qu’en réalité il n’a jamais rencontrés, jusqu’aux ministres plus récents, parfois gaffeurs, souvent grossiers, rarement inspirés, la fresque est croustillante. Tant pis pour Alain Peyrefitte, moins connaisseur que ne le fit croire son « Quand la Chine s’éveillera » ; pour Jean Sauvagnargues, peu sobre et élégant à table, aux côtés de l’épouse de son homologue ; pour Claude Cheysson, moins téméraire qu’on ne le dit un temps ; pour Louis Mermaz, Dominique Strauss-Kahn et bien d’autres, que n’atteignirent pas les subtilités de l’Orient. Car il y a dans ce panorama les initiés, et les autres, imperméables au voyage, ou qui ne viennent en Chine que parce qu’il faut s’y faire photographier. BHL, Bernard Kouchner, Nicolas Sarkozy, entre autres, y apparaissent conformes à la réputation que leur ont faite leurs détracteurs. Le gaulliste Claude Martin leur préfère nettement Jacques Chirac (qui aime l’Orient, il est vrai), ou Hubert Védrine, qui une fois de plus (c’est devenu fréquent dans les témoignages de diplomates) s’en tire le mieux, aussi bien pour son professionnalisme que pour ses qualités humaines. Le tout émaillé d’innombrables dirigeants, artistes, intellectuels chinois, entre lesquels se glissent quelques touches d’actualité française, de « l’insupportable Léon Zitrone » aux chroniques des cohabitations successives en passant par les visites pékinoises d’artistes français.

Cette Lettre à la Chine, riche en détails, en couleurs, en paysages et impressions, en hommages répétés à la beauté des femmes chinoises, nous fait rencontrer Mao, Zhou Enlai, Deng Xiaoping et les autres, nous fait revivre la Révolution Culturelle de 1966 et la place Tian’anmen en 1989 (où l’auteur se trouvait lorsque le drame se jouait), nous guide dans les dédales des intrigues de palais ou des reprises en main. Et c’est bien difficilement que l’entrée de la Grande-Bretagne dans le marché commun, l'élargissement de l'Europe ou même l'Allemagne réunifiée (dans laquelle l’auteur resta tout de même presque neuf ans comme ambassadeur, de 1999 à 2007), trouvent une place dans cette histoire. Comment, à côté de ces péripéties chinoises, ne pas paraître fade ? Dans ces mille facettes de la relation que la France tente de maintenir en Asie, quelques épisodes récurrents prennent une place particulière. Celui de la médiation française, jusqu’aux accords de Paris de 1991, pour trouver une issue à la situation cambodgienne et une place au Prince Sihanouk ; celui de la double affaire des frégates et des mirages pour Taïwan, qui opposa visions courtes et longues de la Realpolitik. Au fil de ces imbroglios et de quelques autres, Claude Martin ne cache pas les options qu’il défendit alors. Il souhaitait que l’on crût en Sihanouk, que beaucoup à Paris (notamment VGE) dépeignaient en loser. Il s’opposait à la vente de quelques armes à Taipei, jugées désastreuse au regard de la mission historique entamée par le général de Gaulle en 1964. C’est pourtant avec élégance qu’il relate les volte-face de Roland Dumas, et les éclaire par non-dit en fin d’ouvrage.

Cela pose bien entendu une question classique. Un diplomate, lorsqu’il passe trop de temps au contact d’un pays, ne devient-il pas le défenseur de ce pays plutôt que le représentant du sien propre ? Et ce, à partir du meilleur sentiment du monde, à savoir la quête de la compréhension de l’Autre ? Ne vaut-il mieux pas, finalement, jouer la carte de l’agent banal, insensible aux charmes de si puissantes machines, de si redoutables interlocuteurs ? Claude Martin plaide pour l’immersion, l’osmose, la découverte. Il fustige sans relâche – et de manière convaincante – la médiocrité de ceux qui veulent gérer le monde tout en s’en préservant. C’est un flâneur au sens baudelairien du terme. Ne laissant passer ni un village, ni une rue, ni un regard, il regarde les ombres derrière les projecteurs de la géopolitique. On lit les déceptions, les affres, les tortures d’un homme qui après les folies maoïstes, puis les massacres de Tian’anmen (une « tâche » dans l’œuvre de Deng), veut rester fidèle à son rêve de Chine, tout en vivant si mal, chaque fois, les terribles retours en arrière. On voit avec lui, sur cinquante ans, passer la Chine de l’état artisanal à la modernité actuelle, où la brutalité perdure sans plus être la même. « Etait-ce mieux avant ? », lui demandent, pour finir, de jeunes interlocuteurs chinois...



mardi 20 novembre 2018

Mémoires de diplomates - Evgueni Primakov



Evgueni Primakov, Au cœur du pouvoir : Mémoires politiques, Editions de Syrtes, 2002 (version en anglais 2001)




Evgueni Primakov fut l’un des acteurs soviétiques puis russes les plus influents de la fin de la guerre froide et de la période qui suivit. Orientaliste distingué à la tête de l'Institut d'économie mondiale et des relations internationales de l'Académie des sciences, journaliste, c’est sous Gorbatchev qu’il devient en 1989 Président du Soviet de l'Union, puis membre du Conseil présidentiel (1990-91), où il suit la guerre du Golfe. Nommé ensuite sous Boris Eltsine Directeur du Service des renseignements extérieurs de Russie (SVR, 1991-96), ministre des Affaires Etrangères (1996-98), et enfin Premier ministre – ou « président du gouvernement » (1998-99), il sera, après son éviction candidat aux législatives puis Président de la Chambre de commerce et d'industrie (2001-2011). Il disparut en 2015.

L’homme n’est pas un repenti. Il défend son système, réfute les accusations nombreuses portées à l’encontre de l’URSS (par exemple celle d’avoir incité l’Egypte à attaquer Israël à plusieurs reprises), et a même témoigné en faveur de Slobodan Milosevic à La Haye. Ses mémoires retracent, de son point de vue précieux, des épisodes clefs : les soubresauts de la fin de l’URSS et des débuts de la Russie (jusqu’au départ d’Eltsine et à l’arrivée de Poutine, auquel il se rallie finalement), la guerre du Golfe (1990-91), les paradoxes de la perestroïka de Gorbatchev et ses erreurs, son action à la tête des renseignements extérieurs, puis à la tête de la diplomatie russe, notamment sur les dossiers du Kosovo, du processus de paix au Proche-Orient. On y croise les leaders russes bien sûr mais aussi les présidents et secrétaires d'Etat américains, Saddam Hussein, Arafat, Hafez al-Assad, Milosevic, Castro, des dirigeants européens, surtout Chirac et Védrine, qu’il apprécie tous deux visiblement. Il plaide naturellement pour la sincérité russe, et contre les erreurs occidentales, notamment dans les guerres du Golfe de 1991 et du Kosovo en 1999, sans parler bien sûr de l'élargissement de l’OTAN, dont les américains avaient promis sous Bush senior qu’il n’aurait pas lieu. Opposé à l'intervention militaire russe en Tchétchénie, il n’épargne pas pour autant les boïeviki (combattants) tchétchènes « sanguinaires ».

Avec humour et élégance, il trace le panorama de près d’un demi-siècle russe et international, souvent à partir de sa spécialité : le Moyen-Orient. En guerre avec « la famille », ou l’entourage de Eltsine qui finit par l’écarter, il dénonce la corruption qui s’est emparée de la russie dans la décennie 1990, sans glorifier pour autant Gorbatchev. Peu tendre avec la politique américaine, il reste objectif et brosse le tableau de relations de confiance, et même amicales, avec de nombreux américains. Plus qu’un militant, c’est en membre éminent de l’élite diplomatique internationale qu’il témoigne dans son ouvrage, avec humanité souvent, mais sans regrets.

Mémoires de diplomates - Jean-Marc Simon, Secrets d'Afrique




Jean-Marc Simon, Secrets d’Afrique. Le témoignage d’un ambassadeur, Cherche Midi, 2016

Jean-Marc Simon fut ambassadeur en République centrafricaine, au Nigéria, au Gabon et en Côte d’Ivoire, et dans plusieurs cabinets ministériels. Elevé à la dignité d’ambassadeur de France par François Fillon en 2011, proche de Michel Roussin (l’un des hommes des dossiers africains de la chiraquie), toujours actif dans le conseil en Afrique (à la tête de Eurafrique Stratégies), il revient, dans un style diplomatique classique mais efficace, sur plusieurs de ses postes ou missions, au Tchad, dans l’afrique du Sud de l’apartheid, sur le Rwanda, longuement sur la Centrafrique, au Nigéria (où il fut maître de stage ENA d’un certain Emmanuel Macron), au Gabon, en Côte d’Ivoire. Rien hélas sur sur les Philippines, le Pérou et le Liban, certes hors d’Afrique, où il fut pourtant en poste. Des portraits saisissants – souvent aimables – parsèment ces mémoires : Hissein Habré, Pik Botha, Ange-Félix Patassé, Omar Bongo surtout, ou encore les protagonistes du drame ivoirien, Gbagbo, Ouattara et Bédié. Pas de révélation fracassante sur la « françafrique », quelques passages peut-être même trop courts (sur le rôle de l’armée française en Côte d’Ivoire dans l’extrême tension de 2004, ou la chute de Gbagbo en 2011). Le fil de nombreux épisodes est retracé de l’intérieur, avec quelques scènes saisissantes. La politique française est défendue dans un exposé assez clair, et revendiqué à droite, tandis que la méthode jospin (1997-2002) est égratignée pour son « ni ingérence, ni indifférence », auquel l’auteur ne croit pas : « En l’occurrence, c’est souvent l’indifférence qui prévaut ». Les ambiguïtés ou complexités de plusieurs chefs d'Etat apparaissent, sous une plume pourtant diplomatique. Hissein Habré n’en est pas l’un des moindres. L’opération Manta de 1984 et l’affrontement de François Mitterrand avec Kadhafi, la cohabitation de 1986-88, bien d’autres épisodes sont retracés. Ni regrets ni remords, ni sur le système Foccart ni sur le Rwanda. Peu de secrets en réalité, mais un témoignage qui permet de mieux comprendre ce que fut l’approche française et celle de ses acteurs, dans une Afrique qui aujourd’hui n’est plus la même.

lundi 29 octobre 2018

Bertrand Badie, Quand le Sud réinvente le monde


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Bertrand Badie, Quand le Sud réinvente le monde. Essai sur la puissance de la faiblesse, La Découverte, Paris, 2018

Dans son nouvel ouvrage, Bertrand Badie reprend les thèmes qui lui sont chers : le coût international de l’humiliation, l’échec de l’Etat importé et de la décolonisation, les conséquences d’une diplomatie de club trop longtemps confisquée par l’Occident, dans une tentative du vieux monde pour résister à la réinvention pourtant nécessaire du système international.

Le chapitre I, qui revient sur l’occasion ratée d’une décolonisation dont l’ancien maître colonial a tout fait pour limiter les effets, est l’un des plus convaincants. Incapables de tourner réellement la page de la violence physique et symbolique qui avait marqué la colonisation, les institutions post-coloniales ont détourné le sens d’ouverture du jeu mondial qu’aurait dû prendre la création de nouveaux Etats. Il en a découlé un certain nombre de réactions, ou plutôt de « contre-socialisations », dont l’islamisme politique fut l’une des manifestations. Au Sud, les nouveaux pouvoir n’ont pas réussi à dépasser le stade d’un nationalisme de combat pour imaginer un nouveau nationalisme de projet. Ils ne furent, à travers leurs expressions (de Bandoeng au mouvement des non alignes ou MNA), que réactifs.

Par la suite, Bertrand Badie nous montre comment le multilatéralisme qui aurait dû être inclusif fut contourné par les clubs (du G7 au G20) et autres formats diplomatiques ad hoc. Comment, surtout, la faiblesse des uns s’est imposée à la force des autres, au point que cette sociologie de la faiblesse est devenue un impensé majeur de l’étude des relations internationales. On retrouve là l’idée de la force du faible, ou de la nuisance plus forte que la puissance. Les conséquences de cette situation sur les sociétés en guerres (la guerre devenant cadre socialisateur pour de nombreux acteurs en quête de contre-socialisation), et sur l'intervention militaire de « seconde génération » après la fin de la guerre froide, n’en sont que plus forts.

Plusieurs hypothèses fortes émanent de ce livre. L’idée, par exemple, qu’un néo-souverainisme compatible avec la mondialisation, porté par les émergents avec un goût de revanche sur les humiliations passées, ouvre la voie à un renouvellement en profondeur du système international. Celle encore, selon laquelle l’acteur local a une marge de manœuvre supérieure à celle de l’acteur régional, qui lui-même est plus fort que l’acteur global. Une « re-régionalisation » du monde pourrait alors constituer une sortie de l’impasse.

En prenant le point de vue de l’exclu, ou du Sud, après être parti du point de vue du Nord dans son « Nous ne sommes plus seuls au monde » (2016), Bertrand Badie tente d’expliquer les dynamiques actuelles dans ce Sud porté vers l’autoritarisme (le Brésil en est le dernier exemple, consacrant encore un peu plus les BRICS comme club national-autoritaire). Comme toujours, le débat est ouvert, l’agitateur d’idées a donc accompli sa mission.

vendredi 31 août 2018

Le Quai croqué par la fiction


L’air du large

Les auteurs français de fiction (espionnage, romans policiers…) mettent rarement en scène l’action internationale de la France elle-même, sauf sur un mode comique (la reprise au cinéma dans les années 2000 de l’OSS 117 de Jean Bruce, qui transforme le héros initial en caricature franchouillarde, la bande dessinée Quai d’Orsay également portée à l’écran…). Il n’est donc pas anodin d’assister depuis peu à un réinvestissement du sujet « diplomatie française » par la littérature noire, à l’heure des luttes d’influence et du storytelling. En 2018, trois livres parmi d’autres ont fait parler d’eux : que nous disent-ils de l’outil diplomatique français dans son contexte international ? En comparaison avec des littératures étrangères, le thriller français se veut réaliste au risque du pessimisme, informé et universaliste, surtout hanté par la dictature au Sud.
Le diplomate français, nouveau personnage de roman
Dans ses 200 aventures de « SAS » très prisées du monde diplomatique français, Gérard de Villiers évitait le sujet. Son héros, le Prince Malko, était autrichien, travaillait sous contrat pour la CIA et sa mission principale consistait à faire voyager le lecteur francophone sous d’autres tropiques, dans un exotisme à fantasmes qui éloignait de la routine parisienne. Les services français n’étaient pas dans le jeu. Les quelques romans à succès des dernières années (comme les Pukhtu de DOA), s’attachaient également à d’autres acteurs, sociétés militaires privées américaines ou autres. Cette absence dans la littérature n’était pas compensée par les séries télévisées. Jusqu’au Bureau des légendes, succès français mais aussi succès commercial international, qui met en scène la DGSE dans des scénarios dont le talent tient au réalisme. Là où les Etats-Unis, le Royaume-Uni, plus récemment quelques émergents, glorifiaient leurs services dans la fiction, la France commençait seulement à rattraper son retard, sans James Bond, à sa manière, avec pour principale qualité de se critiquer elle-même.
Pour la seule année 2018, trois romans situent leur intrigue au cœur du milieu diplomatique français. Dans Kisanga, l’écrivain Emmanuel Grand montre un ministère des Affaires étrangères (dirigé par un ministre flamboyant, « François-Xavier de Meyrieux », à la crinière argentée…), et des agents de la défense, entre intérêts industriels et partenariats chinois, empêtrés dans les doubles-fonds d’une Afrique (en l’occurrence d’une RDC) en proie à tous les maux, et pillée par les grandes puissances. Dans Les saisons inversées, Renaud S. Lyautey (pseudonyme de l’actuel ambassadeur de France à Mascate, donc diplomate de carrière en pleine activité), met en scène l’assassinat en 2003, peu après la crise irakienne, du directeur général des Affaires politiques et de sécurité du Quai, qui eut quelques jardins secrets dans ses postes passés, en Iran ou en Amérique latine. Dans Le suspendu de ConakryJean-Christophe Rufin, écrivain qui fut ambassadeur, dépeint un consul de France qui s’ennuie, qui boit et joue du piano, réveillé et révélé par l’assassinat spectaculaire d’un français sur place. Rien de tout cela n’est fortuit, et les deux derniers auteurs annoncent même une suite, avec les mêmes héros.
« Le grand bâtiment retrouva dans l’instant sa vocation première, celle d’un tombeau servi par des prêtres mutiques, industrieux et bronzés. Chacun s’affaira à ce qu’il savait le mieux faire : la limitation des dégâts »
Le quai sans concession
Les héros, justement. Ces sans-grade qui mènent l’enquête à la place des enquêteurs, dans des romans policiers sans policiers. Ils ont une profondeur, une intelligence, que rien n’a facilitées, ni que personne n’a reconnues, au quai d’Orsay. Chez Rufin, le raté Aurel Timescu, diplomate d’origine roumaine qui finit consul de France en Guinée mais dont personne ne veut, devient pourtant une sorte d’inspecteur Columbo dans un décor de SAS, tout en subissant ce qui s’apparente à un harcèlement moral de la part de sa hiérarchie. Le René Turpin de Lyautey est choisi pour aider l’enquête en raison précisément de ce que l’on croit être sa médiocrité : lui non plus, n’est pas aidé par la machine. L’anti-héro de Grand est un journaliste assisté d’un ingénieur idéaliste, considéré comme fini parce que le système l’a fait taire autrefois, et qui a maintenant le Quai et Balard à ses trousses pour le supprimer en Afrique. Sur le plan de la gestion des ressources humaines, le quai n’en sort pas grandi.
Il n’est pas épargné non plus sur le plan de la morale, décrit comme complice de faits graves, à différents degrés d’implication suivant les ouvrages. 

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lundi 30 juillet 2018

Donald Trump et Vladimir Poutine


Donald Trump et Vladimir Poutine lors d’une conférence de presse commune à Helsinki (Finlande), le 16 juillet.
LE MONDE |  • Mis à jour le  |Par 

« Donald Trump et Vladimir Poutine sont des alliés objectifs mais pas égaux »


Après la rencontre des deux chefs d’Etat à Helsinki, une dangereuse recomposition des alliances risque de marquer le rapport de force américano-russe, estime le politologue Frédéric Charillon dans une tribune au « Monde ».

Tribune. Donald et Vladimir vont à Helsinki 

Tout prédestinait, à Helsinki, cette première rencontre bilatérale entre Donald Trump et Vladimir Poutine à être avant tout un spectacle. Les deux hommes sont prisés des médias, leurs faits et surtout leurs gestes sont abondamment commentés. Ils s’apprécient dans une relation sulfureuse faite d’amitié virile entre mâles dominants et de formules fortes. Ils pourraient, ensemble, être les héros d’une série américaine. Pas de « notetakers » pour cette entrevue, mais une conférence de presse commune qui fera date.
Au-delà du show, que retenir ? D’abord, que le jeu entretenu des perceptions a largement précédé, pour la parasiter, cette rencontre, qui aurait dû être importante. Ensuite, qu’elle a confirmé les craintes occidentales d’un différentiel de vision stratégique entre Washington et Moscou. Enfin, et de ce fait, c’est une dangereuse recomposition des alliances qui pourrait marquer désormais le rapport de force américano-russe.
Le parasitage des perceptions
Les personnages de Trump et de Poutine sont bien campés dans les esprits et dans les opinions internationales. Depuis longtemps (2000) pour le président russe, plus récemment mais de façon spectaculaire pour son homologue américain. Ils représentent chacun ce qu’une bonne partie du monde adore détester dans leurs pays respectifs. Le businessman truculent et volontiers vulgaire, qui s’assoit sur le politiquement correct sans s’embarrasser d’une grande culture et en affichant son goût pour le McDonald’s, a pour homologue l’ancien homme du KGB, impassible et brutal, qui aime jouer sur la double corde sensible de la mémoire soviétique ou impériale.
Ils cultivent leur propre légende et des clichés qui, en réalité, les servent, d’abord sur l’échiquier politique intérieur (avec des règles du jeu différentes) auprès de segments d’opinion à la fois conservateurs et en déclin social, mais aussi à l’extérieur, où ils espèrent faire figure d’énigmes suffisamment...

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La Tunisie, exception et laboratoire du monde arabe

Article publié dans L'Opinion

A ce jour seule expérience issue des « printemps » de 2011 à susciter encore un espoir démocratique réel, la Tunisie n’est pas pour autant épargnée par les maux qui touchent beaucoup de sociétés arabes. Après un attentat (le 8 juillet) qui a tué six membres des forces de sécurité au nord-ouest du pays (revendiqué par Al Qaida au Maghreb Islamique), après des élections municipales (en mai) aux résultats contradictoires, ce pays de 11,3 millions d’habitants reste au cœur de toutes les attentions. D’abord parce qu’il est un acteur clef de l’histoire politique récente en Méditerranée. Ensuite parce qu’il illustre le combat qui se joue pour l’avenir des sociétés arabes. Ce faisant, il montre également l’importance stratégique du Maghreb, qui demeure un impensé français et européen.

La Tunisie au centre des recompositions méditerranéennes.

C’est à Tunis que la Ligue Arabe installa son siège en 1979 (jusqu’en 1990), après que Le Caire eut signé une paix séparée avec Israël. C’est à Tunis encore que l’OLP de Yasser Arafat trouva refuge après s’être éloignée de l’épicentre palestinien du conflit, chassée de Jordanie en 1970 puis du Liban en 1982. C’est à Tunis toujours que l’immolation de Mohammed Bouazizi en décembre 2010 (puis sa mort en janvier suivant), déclencha les « soulèvements arabes », après la « révolution du jasmin » et la chute de Ben Ali. Centre politique de substitution les deux premières fois, précurseur lors de la troisième, la Tunisie reste une vitrine des rapports de force en Méditerranée. Après la cause palestinienne, l’organisation (et les déboires) de l’unité arabe, puis l’explosion sociale issue des frustrations économiques et politiques régionales, le pays du jasmin devient le laboratoire de trois autres enjeux clefs du moment : l’intégration des partis religieux dans un jeu démocratique arabe normalisé, la lutte anti-terroriste en société arabe moderne, la sortie de la malédiction économique (et, partant, migratoire) au sud de la Méditerranée.
Importance stratégique. L’intérêt porté à la Tunisie par d’autres puissances internationales semble confirmer cette importance stratégique. La Qatar est massivement présent avec un fond souverain qui s’installe à Tunis, et plus de 100 millions investis dans le pays entre 2011 et 2017. La Turquie a signé des accords d’investissements et de coopération militaire en décembre 2017. Du côté européen, l’Allemagne a promis le financement de projets, et ses fondations gagnent en influence. La Chine finance le nouveau bâtiment de l’Institut Diplomatique pour la Formation et les Etudes, créé en juin 1997 et qui compte désormais des promotions de 50 élèves, dont la moitié de femmes. On voit poindre ici la rivalité plus globale entre les nouveaux géants du Sud, les puissances musulmanes du moment (il y en a d’autres), et des acteurs européens, au sud de la Méditerranée. Cette rivalité entraîne à Tunis un débat de politique étrangère qui reprend des lignes de clivage internes, notamment entre laïcs progressistes pro-européens et conservateurs plus attirés par le tandem Doha-Ankara.

Partenaire privilégié de la France et témoin des contradictions arabes


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Trump vs Ocasio-Cortez ou l’avènement de l’idéologie identitaire

Article publié dans L'Opinion

La victoire d’une jeune femme de 28 ans aux primaires démocrates dans le 14e district de New York (contre un cacique du parti) confirme-t-elle une demande mondiale de renouvellement politique ? On enregistre là, une fois de plus, un désir de charisme, d’authenticité et d’engagement, propice aussi à des discours forts, identitaires et idéologiques. Cette tendance, qui trouve ses origines dans des situations très locales ou dans des situations sociales très précises, ne sera pas sans conséquences sur la politique internationale. Comment, alors, la prendre en considération à l’échelle diplomatique ?
Pourquoi c’est important: triomphe de la politique « par le bas »
Le succès new-yorkais de la jeune barmaid portoricaine sera peut-être sans lendemain, dans un pays où il suffit de crier trop fort dans un meeting pour briser sa carrière (ce qui arriva au démocrate Howard Dean en 2004). On peut aussi, comme Nancy Pelosi, leader sortante du Parti Démocrate à la Chambre des représentants, juger peu significative la victoire d’Ocasio-Cortez, puisqu’elle survient dans une circonscription très particulière, marquée par les difficultés sociales et la forte présence de minorités. Il n’empêche : cette victoire surprise ressemble trop à d’autres, ailleurs, pour ne pas appeler quelques questions.
Elle marque un nouveau triomphe de la politique par le bas, non au sens péjoratif d’un débat de bas niveau, mais d’une réappropriation de l’agenda politique par les aspirations populaires, comme revanche des sociétés sur les élites consacrées. « Les femmes comme moi ne sont pas censées se présenter aux élections », « nous avons les gens, ils ont l’argent », dit Alexandria Ocasio-Cortez. « Dignité économique, sociale, et raciale », système de santé universel, accès à l’éducation supérieure pour tous, abolition de l’Immigration and Customs Enforcement (Ice – mécanisme de contrôle des frontières), font partie de ses revendications, qui mobilisent les registres de la race, du genre et de la classe sociale. Il y a là une forme d’idéologie, identitaire, qui n’est pas celle des grands auteurs mais oppose des catégories de personnes aux intérêts jugés incompatibles, pour raviver des grands clivages. De l’autre côté de l’échiquier politique américain, Trump ne fait pas autre chose, en s’adressant d’abord à « sa » catégorie d’électeurs (plus blancs, plus âgés). Ailleurs en Europe ou en Asie (Philippines), des candidats triomphent aussi en se présentant comme les instruments de revanche d’une catégorie de population contre le politiquement correct.
Analyse : du « grassroot level » à l’international

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lundi 11 juin 2018

Donald Trump au G7 face à ses alliés occidentaux : je t’aime, moi non plus


Publié dans TheConversation

Au risque d’être rébarbatif, nous avancerons que ce qui vient de se passer au Canada s’annonce fort instructif du point de vue théorique pour l’analyse des relations internationales.

Donald Trump, par son attitude, n’a fait que pousser une fois plus à l’extrême une posture déjà existante aux États-Unis depuis longtemps, assimilable à la tradition jacksonnienne, et rétive à toute contrainte liée à des engagements extérieurs qui pourraient nuire à la sécurité, à l’identité, aux intérêts des « vrais » Américains. Simplement, il le fait au XXIe siècle (Andrew Jackson était président de 1829 à 1837), dans un monde de globalisation et d’interdépendance complexe, où chacun est lié à tous les autres par les échanges ou l’information en temps réel.

Trois questions intéressantes se posent aujourd’hui.

- Jusqu’à quand l’Alliance avec les Européens va-t-elle tenir ?
- Jusqu’où le système politique américain va-t-il permettre à son président de se comporter de la sorte?
- Trump peut-il faire triompher sa logique et garder une majorité pour mettre fin à soixante-dix ans de Grand Strategy américaine ?

Le sens des alliances

Y a-t-il encore une alliance entre les États-Unis et leurs partenaires de l’OTAN, ou leurs interlocuteurs privilégiés comme le Japon ? Les camouflets s’accumulent, les insultes pleuvent, et la bataille commerciale qui s’annonce montre qu’il s’agit de divergences d’intérêts réels, non d’une simple incompatibilité d’humeur.

Le fait d’être alliés sur le plan militaire mais concurrents sur le plan économique est classique entre l’Amérique, l’Europe et le Japon. Mais l’atmosphère à la Maison Blanche laisse penser que, cette fois, son locataire considère globalement ses partenaires comme des handicaps, non plus comme des atouts.

Cette remise en cause du concept même d’alliance trouve aujourd’hui d’autres expressions ailleurs, qui cette fois ne doivent rien à Trump. L’évolution interne de la Turquie, son attitude en Syrie, et même à certains égards la gestion de sa diaspora en Europe, deviennent difficilement compatible avec son adhésion à l’OTAN, et sa candidature (certes de plus en plus rhétorique) à l’UE.


Photo de famille du G7 au Canada, le 9 juin 2018. Leon Neal/AFP
Plus loin encore (on serait tenté de dire « en face »), dans l’organisation de coopération de Shanghai, l’arrivée probable de l’Iran comme membre à part entière, l’entrée de l’Inde et du Pakistan en 2017, empêchent de faire de ce groupe une entité homogène, sorte de « contre-OTAN ».

Trump exacerbe certes la tendance par son style, mais c’est plus généralement la question de la viabilité même d’alliances stables et pérennes qui est posée désormais dans le monde des années 2018 et suivantes.

Que va faire l’État profond ?

Si l’on retient les leçons de Robert Putnam et de ses collègues (Peter B. Evans, Harold Karan Jacobson), dans leur ouvrage célèbre de 1993 (Double-Edged Diplomacy), on se souvient que la politique étrangère, peut-être plus encore aux États-Unis, est façonnée au moins autant par des rapports de force internes que par les événements internationaux auxquels il s’agit de répondre.

La question est donc : que pense le système américain, avec ses animateurs, ses contre-pouvoirs, ses décideurs, son « État profond », ses analystes, ses groupes d’intérêt, d’un Président qui affaiblit chaque jour la parole des États-Unis ? Un président qui effraie ses alliés les plus importants, insulte ses voisins, remet en cause les traités signés, y compris ceux qui étaient jugés favorables aux intérêts américains. Qui s’exprime essentiellement par tweets. Qui, en plein bras de fer intérieur sur ses liens supposés avec une Russie considérée comme extrêmement agressive sur le plan du renseignement et de la déstabilisation, se permet le luxe de proposer la réintégration de Moscou dans le G7-G8, essuyant par-là même sur ce point une rebuffade des Européens ?

Sans compter que le découplage entre l’Europe et l’Amérique, auquel Trump travaille régulièrement, fait de la Russie le premier bénéficiaire de ces rodomontades. Même si, en réalité, Trump et Poutine sont en train de devenir à eux deux les meilleurs impresarios d’une vision stratégique ouest-européenne commune, soudain ressuscitée, et à laquelle s’adjoint le Canada.

Cela est-il encore acceptable par les gardiens du dogme ? S’ils sont divisés, quel est le rapport de force entre les camps en présence ? Si leur patience a des limites, où se situe le point de rupture, quelles sont les lignes rouges ? Et qu’envisagent-ils de faire si celles-ci sont franchies ? Il y a là, du point de vue de l’analyse du système politique américain, des défis passionnants à venir.

Et si Trump gagnait ?
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mercredi 30 mai 2018

Singularités franco-russes




La visite d’Emmanuel Macron à Saint-Petersbourg (24 au 25 avril) a confirmé que la Russie était un interlocuteur important et difficile. Des terrains d’entente existent, mais les principaux intérêts stratégiques divergent. Depuis presque trente ans, les malentendus se sont accumulés entre le monde occidental et la nouvelle Fédération de Russie, laquelle est loin d’être une entité unique et immuable. Si Paris souhaite être l’artisan d’une relation plus sereine avec Moscou, une triple prise de conscience s’impose. Il convient de prendre acte des perceptions russes, même si on ne les partage pas. Ensuite, la France entretient elle-même avec la Russie un lien biaisé par des facteurs qui ont peu à voir avec la rationalité des relations internationales: le reconnaître serait utile. Enfin, il est temps d’admettre que les recettes de la Realpolitik, avec la Russie, sont un bon moyen de faire progresser le dialogue.

La Russie, incontournable et problématique

La fin de la guerre froide et de l’Union soviétique, les pertes territoriales des années 1990, les difficultés économiques et l’hémorragie démographique n’ont fait disparaître l’importance géopolitique de la Russie. Géant militaire et énergétique aux portes de l’Europe, puissance diplomatique, élément central des mondes russophone et orthodoxe, le pays a eu raison des analyses prospectives qui annonçaient son effacement dans une nouvelle bipolarité sino-américaine. Sur les questions de sécurité européenne, sur le jeu proche-oriental de la Syrie à l’Iran, ou ailleurs, le monde doit compter avec Moscou. Avec à sa tête depuis bientôt vingt ans, un homme habitué aux initiatives brutales (Tchétchénie, Géorgie, Ukraine, Syrie…) et qui s’offre le luxe d’être la coqueluche des analystes stratégiques anglo-saxons. 

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jeudi 19 avril 2018

Syrie : la couleur de la ligne rouge

Paru dans The Conversation

Les frappes militaires occidentales en Syrie, dans la nuit du 12 ou 13 avril 2008, ont été justifiées par leurs auteurs au nom du franchissement par le régime de Damas d’une ligne rouge intolérable. En l’occurrence, l’usage réitéré d’armes chimiques sur des populations civiles. Cette initiative, qui a conduit à la destruction de plusieurs sites militaires syriens liés aux armements chimiques près de Damas et dans la région de Homs, ouvre plusieurs questions.
Quelles en sont les conséquences sur la situation au Proche-Orient, sur les équilibres globaux, et enfin quel sera l’avenir du concept de ligne rouge dans les usages stratégiques internationaux ?

Les frappes occidentales : quel impact ?

Selon toute vraisemblance, les frappes opérées n’avaient pas pour objectif d’ouvrir la voie à un affrontement plus global, ni de préparer un changement de régime en Syrie. Les trois chancelleries concernées – États-Unis, France, Royaume-Uni – ont pris soin de modérer leur propos au lendemain des opérations, de souhaiter la reprise du dialogue diplomatique, et même de proposer (comme la France) de nouvelles résolutions aux Nations unies. Elles ont pris soin, surtout, de ne pas frapper de cibles russes.
Sur le front militaire syrien proprement dit, ces frappes ne devraient donc pas bouleverser les équilibres. Leurs conséquences politiques pourraient néanmoins être importantes. En premier lieu, elles ont pour vocation de corriger l’épisode de 2013, lorsque les États-Unis de Barack Obama refusèrent de suivre la France dans sa volonté de frapper le régime de Damas après, déjà, l’utilisation très probable par ce dernier d’armes chimiques contre des populations civiles.
Cette séquence avait symbolisé les hésitations et sans doute la faiblesse de l’Occident face à un régime sans scrupule. L’entrée spectaculaire sur la scène syrienne de la Russie quelques mois plus tard, puis le processus d’Astana co-piloté par Moscou, Ankara et Téhéran, avaient illustré avec force le recul des trois Alliés qui s’étaient jusqu’alors situés au premier plan des drames du « Grand Moyen-Orient », de l’Irak à l’Afghanistan, en passant par la Libye.
Par la suite, la lutte contre l’État islamique avait pris le pas sur l’objectif de punir Bachar Al-Assad, la Turquie s’était rapprochée de Moscou, et le gouvernement syrien avait repris le contrôle de l’essentiel du territoire. Il apparaissait donc en quelque sorte vainqueur, même s’il se trouvait affaibli et dépendant de ses sauveurs, l’Iran et le Hezbollah d’une part, la Russie de l’autre. Vainqueur, même, au point de se permettre de persévérer dans l’utilisation des armes chimiques, après avoir annoncé un accord russe sur leur démantèlement.

Les Alliés à nouveau réunis

L’un des points importants de ces frappes réside peut-être dans l’affichage d’un front (ré)uni des trois Alliés. L’Amérique, en dépit de son Président fantasque, a agi de concert avec son homologue français qui avait pourtant annoncé « la fin d’une forme de néoconservatisme importée en France depuis dix ans », et une première ministre britannique affaiblie par le Brexit et par les élections générales de juin 2017.
Le trio habituel de l’intervention extérieure s’est donc reconstitué, de surcroît sur un dossier où on le disait définitivement relégué au second plan. Cela change naturellement la donne, même si cela ne réglera pas tous les désaccords annoncés entre les partenaires. On pense, notamment, à l’accord sur le nucléaire iranien, auquel l’Élysée tient tandis que la Maison Blanche veut le remettre en cause.

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vendredi 23 mars 2018

Les premiers jours de Pompeo

«A l’ère Trump-Pompeo, l’Europe doit-elle apprendre à se passer de l’Amérique?», par Frédéric Charillon


Article rédigé pour : 
Toujours la même méthode brutale pour humilier ses collaborateurs, toujours la même impression de désordre déguisée en reprise en main, et au final un repli sur une garde rapprochée après avoir échoué pendant un an à rassurer et à rassembler : la nomination de Mike Pompeo au secrétariat d’Etat (et son corollaire, le limogeage de Rex Tillerson) souligne une fois de plus le choix d’une ligne dure par le président Donald Trump. Cela ne sera pas naturellement sans incidence sur la France et l’Europe.
Le secrétaire d’Etat sortant constituait un point de repère et un interlocuteur pour les Alliés, dans un climat de désorganisation peu rassurant par ailleurs, marqué par une grande instabilité dans les équipes. Surtout, contrairement à la Maison Blanche, il était sur la même ligne que Paris au regard de plusieurs dossiers importants : Tillerson était favorable au maintien des Etats-Unis dans l’accord de Paris sur le climat, souhaitait préserver l’accord sur le nucléaire iranien et aurait préféré une ligne moins imprudente que celle de Trump sur la brouille entre le Qatar et l’Arabie saoudite. Son départ n’est pas une surprise totale tant son isolement devenait visible, mais son remplacement par Pompeo, et la nomination de Gina Haspel à la tête de la CIA, ouvrent une période difficile pour la relation transatlantique.
En premier lieu parce qu’il est toujours difficile pour les Alliés de gérer une équipe américaine impopulaire, et celle-là le sera probablement : l’implication de Gina Haspel dans des programmes de prisons secrètes après 2001, la ligne dure de Mike Pompeo ont tout pour ramener la relation aux tensions des années 2000. Or l’allié américain est déjà assez difficile à gérer comme cela, de l’Otan à l’ONU, de l’Iran à la Syrie, du climat au commerce, de Jérusalem à Pyongyang, pour ajouter encore à ces contraintes extérieures les réactions allergiques, en interne, d’opinions publiques européennes encouragées dans l’anti-américanisme. Pompeo existera-t-il par lui-même au-delà de sa fidélité à Trump, avec des bonnes surprises possibles, comme certains aux Etats-Unis semblent l’espérer, à l’image de Henry Kissinger ? Ou sera-t-il, comme son chef, le visage de l’Amérique que le monde aime détester ?
Grande Stratégie. Surtout, la vision du monde selon Trump, esquissée dans la campagne de 2016 et qui triomphe aujourd’hui, est la négation d’une Grande Stratégie américaine en place depuis 1945, dans laquelle l’Europe jouait un rôle fondamental, et qui se serait parfaitement articulée avec les premiers discours de politique étrangère d’Emmanuel Macron. Cette Grande Stratégie américaine, quelle était-elle ? Une Grande Stratégie – terme qui fait l’objet de nombreuses études actuellement aux Etats-Unis mais nullement en Europe – peut se résumer à la formulation des principaux intérêts d’un pays dans le monde, à la définition des actions à mener pour les défendre, et au rassemblement des moyens nécessaires pour ce faire.

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samedi 17 février 2018

Mind the Gap: How France and Germany Can Spearhead Joint Foreign Policy Initiatives Now

Mind the Gap: How France and Germany Can Spearhead Joint Foreign Policy Initiatives Now  

(extraits du dossier dirigé par Claire Demesmay, DGAP, Berlin) : lire ici

Edited by Claire Demesmay 

In light of the current instability on Europe’s borders and uncertainties about the international role of the US under the administration of President Donald Trump, it is high time for Franco-German foreign policy initiatives. With a possible new German government in sight, a window of opportunity opens for new joint action by the two countries at the core of the EU. At the same time, differences between France and Germany, both on policy issues and in terms of their strategic cultures, could impede any such cooperation. This study shows how Paris and Berlin can bridge – and exploit – these gaps to facilitate joint initiatives, even in the short term, on four key topics: Russia, transatlantic relations, Syria and Turkey.

Syria: Associating German with French Initiatives

Frédéric Charillon & Andreas Rinke  

The conflict in Syria currently stands at the center of much of the international debate because it triggered a destabilization of the entire Middle East region – with the military involvement of a large number of foreign countries. The armed conflict also sent huge numbers of refugees to neighboring countries and Europe. As a result, Syria swiftly climbed to the top of the diplomatic agenda
for Germany and France. Despite the shared urgency, however, both countries have very different views on the conflict: This is due partly to historical reasons, and partly to the fact that France and Germany play different roles in world politics and hold different views on the use of military power. Nonetheless, the time for joint initiatives is now better than ever before – frstly, because  both countries share common interests in the Middle East, and secondly, because the election of French President Macron might help fnd a common stance. A common French-German strategy for Syria, and for the wider Middle East, is both possible and necessary, and the EU offers the best framework in pursuing this. Paris made it clear that it wanted to promote new initiatives. Associating Germany with them would be indispensable.

France and Germany: Different Approaches Toward Syria
Germany and France diverge widely in their approaches toward Syria for at least three reasons. These relate to the two countries’ different historical involvement in the region, to their divergent attitudes on the use of military force, and lastly, on the context of current terrorist attacks.

The historical factors at play in the issue date back to colonial times: Unlike Germany, which does not have any colonial background in the Middle East, France used to exert tutelary power in both Lebanon and Syria and has kept strong links with the Levant ever since. Paris’ political clout in Lebanon somewhat decreased when frst, the Syrian, and then the Iranian grip on the country intensifed after the Civil War (1975-1989). But a struggle for influence between the West – mainly France and the US – and the Syrian-Iranian camp remained. Several attacks on the French territory in the 1980s, as well as the assassination of the French Ambassador in Beirut in 1981 and
later the killing of French hostages were attributed to Damascus, Tehran and their local allies, such as Hezbollah.
  

mercredi 31 janvier 2018

La visite du Vice-Président américain au Moyen-Orient

Le vice-président des Etats-Unis, Mike Pence (au milieu) accompagné de sa femme (à droite).REUTERS/Muhammad Hamed

    Le vice-président des Etats-Unis Mike Pence est en tournée au Proche-Orient : après l’Egypte hier, il est aujourd’hui en Jordanie et en Israël. Une tournée qui ne se déroule pas sous les meilleurs auspices. Frédéric Charillon, professeur en science politique à l’Université d’Auvergne, Cofondateur et ancien directeur de l’IRSEM, l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire, répond aux questions de Chantal Lorho.
    http://www.rfi.fr/emission/20180121-mike-pence-situation-inconfortable-frederic-charillon