mercredi 28 août 2013

F. Godement, Que veut la Chine ? De mao au capitalisme



F. Godement, Que veut la Chine ? De mao au capitalisme, Odile Jacob, paris, 2012

  Ce nouveau travail de François Godement, dont l’expertise sur la Chine n’est plus à présenter, dresse un panorama vaste des maux et atouts du pays, depuis les aspects sociaux, administratifs et économiques jusqu’à la vision internationale et stratégique chinoise. Repartant de l’affaire Bo Xilai pour en expliquer les ressorts et voir de quoi elle est le symptôme, François Godement nous explique en quoi ce géant collectiviste est aussi « la société la plus individualiste d’Asie », aux ambitions exacerbées, aux transitions brutales. Pays riche au peuple pauvre (p.35), l’Empire du milieu souffre d’un fossé social immense, illustré entre autres par une course vers le bas dans les salaires (qui transforme le pays en usine du monde), coexistant avec un marché du luxe devenu le premier de la planète.

Au centre de ces contradictions : le parti communiste chinois, ses codes, ses complexités, ses blocages aussi. Souvent décrit comme omnipotent, il n’en est pas moins exposé à une opinion publique en cours d’acquisition rapide d’une redoutable compétence politique, qui impose la prise en compte de deux modèles extérieurs d’évolution possible pour la Chine : Singapour et Hong Kong, reposant ainsi la question de la viabilité d’un système à deux vitesse ou plus exactement d’un schéma « un pays, plusieurs systèmes ».

On sera particulièrement sensible aux derniers chapitres de l’ouvrage, traitant de stratégie et de politique étrangère. Depuis le « tournant » de 2009 (p.163) qui voit une exaltation militaire sans précédent, la multiplication des incidents territoriaux en mer de Chine du Sud, et surtout l’adoption par Pékin d’une posture autoritaire qui semble clore le chapitre d’un effort de diplomatie publique, le monde s’interroge sur les intentions internationales du géant asiatique. Que ce changement de style provienne d’une fragmentation bureaucratique, d’une reprise en main de l’armée ou de groupes de pressions nationalistes pesant sur les dirigeants civils, il se solde par une modification du rapport de la Chine au monde, et particulièrement à son voisin japonais, comme à son concurrent américain. F. Godement estime ici qu’il y a « erreur de diagnostique stratégique », et qu’il convient de redécouvrir l’héritage stratégique chinois, en réalité double comme le suggérait en son temps Alastair I. Johnston (Cultural Realism : Strategic Culture and Grand Strategy in Chinese History, 1998) : parallèlement à la culture belligène fondée sur le réalisme et incarnée par Sun Tzu, il existe une culture accommodatrice héritée de Confucius et Mencius (p.222). A la tentation souverainiste d’une sphère d’influence, s’oppose aujourd’hui la nécessité d’une intégration au monde.

L’énigme chinoise reste naturellement entière, mais ce travail nous fournit de nombreuses clefs de compréhension, avec l’avantage énorme d’une grille de lecture intégrant les multiples dimensions, internes et externes, de cette équation stratégique aujourd’hui centrale. L’exercice était difficile, mais l’auteur nous a habitués, depuis plusieurs années, à l’exécuter efficacement.