mercredi 18 février 2015

Lectures du terrorisme



 
Editorial de la Lettre de l'IRSEM n°1-2015

Les travaux de sciences sociales ont largement analysé le phénomène du terrorisme, divergeant fortement sur la nature de celui-ci. Trois familles d'approches principales se distinguent, qui voient le terrorisme soit comme un ennemi géopolitique classique, soit comme le résultat d'un processus social, soit comme une notion procédant d'une construction discursive, souvent au risque de l'amalgame. Du contenu de ces analyses dépend naturellement aussi la question de la lutte contre le terrorisme, et des priorités qui doivent être les siennes.

La première analyse procède souvent d'une approche dite réaliste des relations internationales (encore qu’il puisse s’agir également d’une approche idéologique) où prime le rapport de force sinon interétatique, du moins entre adversaires institutionnalisés, structurés et dotés d'un centre de décision poursuivant des objectifs stratégiques identifiables. La grammaire de la « guerre contre la terreur » résume donc relativement bien cette posture, qui voit en cette terreur un ennemi dont les centres névralgiques doivent être détruits, au besoin par l’action militaire, dans un affrontement territorialisé, à l’issue vitale pour la survie et l’intérêt national, et répondant à une vision duale et donc classique de la conflictualité. Dans cette approche, la terreur « nous » vise pour ce que nous sommes et qu’elle veut détruire. Et la supériorité militaire doit parvenir à la réduire.

L’approche plus « sociologique », qui préfère évoquer l’entreprise de violence plutôt que le terrorisme, implique que ce dernier procède d’une rencontre entre une offre (l’entreprise de violence) et une demande sociale nourrie par la frustration, la misère voire l’humiliation. Il n’y a pas de terrorisme durable, insiste-t-on alors, sans terrain propice à l’offre de violence. La réponse militaire risque donc, à l’inverse du postulat plus classique, de renforcer le terrorisme, a fortiori du fait que selon cette toute autre vision, ce dernier « nous » vise pour ce que nous faisons, et non pour ce que nous sommes. Le discours sur le terrorisme comme ennemi de la démocratie ou de la liberté fait place ici à un discours sur le terrorisme comme riposte asymétrique à des faits ou actions politiques, riposte qui vise non plus des entités pour elles-mêmes, mais des politiques étrangères, dont la radicalisation fera le jeu de l’entreprise de violence. Et seul un traitement social profond des situations de tensions serait en mesure de lutter durablement contre ce marché et contre le succès de ses entrepreneurs.

Enfin, une approche plus critique – dont les nuances, là encore, sont multiples et subtiles, mais là n’est pas l’objet de ce court papier – nous met en garde contre la construction même de l’objet ou du concept de « terreur », notamment à l’heure des actions en réseau, des nébuleuses d’acteurs et des causalités complexes. Pour une telle approche, qui correspond en partie à l’école constructiviste, un discours erroné (volontairement ou non) sur la nature même de ce type de violence peut avoir des conséquences néfastes sur sa compréhension, sur la possibilité de la réduire, objectifs qui peuvent même passer au second plan derrière les intérêts de ceux-là même qui en mobilise le spectre. La compréhension même du « terrorisme » serait ici obstruée par sa réification ou par la manipulation de son invocation. En imaginant une hydre terroriste internationale globale ou un continuum d’insécurité allant de la petite délinquance microsociale au grand jeu macro-politique, on passerait alors à côté de dynamiques réelles, qui nécessiteraient d’autres traitements.

Qu’on le veuille ou non, nos approches du phénomène terroriste se situent entre (ou sont influencées par) ces trois pôles grossièrement brossés ici. L’approche réaliste opte pour la détermination politique, l’approche sociologique pour la compréhension en profondeur et les méthodes longues, l’approche critique pour une remise en cause des termes même du discours. Le débat est trop étendu pour être tranché ici, et l’agenda de recherche reste ouvert pour plusieurs générations de jeunes chercheurs. La tradition française, qui opte plus volontiers pour une approche sociologique de la violence comme d’ailleurs de la guerre en général (Gilles Dorronsoro, Amélie Blom…), insistant sur la mobilisation (Bernard Rougier, Pénélope Larzillière…), est riche en la matière (voir notre Champs de Mars n°22-2012, Rationalités des terrorismes, et l’accent mis par l’IRSEM, dans ses programmes de recherche, sur des notions telles que la résilience, les dynamiques de recrutement, etc.). Les recherches menées actuellement, quelles que soit leur préférence théorique, doivent être encouragée encore.

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