dimanche 15 décembre 2013

J-P. Chevènement, 1914-2014. L'Europe sortie de l’Histoire ?



J-P. Chevènement, 1914-2014. l'Europe sortie de l’Histoire ?, Fayard, Paris, 2013

Il y a trois livres dans le dernier ouvrage de Jean-Pierre Chevènement, et un seul fil rouge : l'Allemagne. Les trois livres correspondent peu ou prou aux trois parties du plan. Le premier offre une réflexion – passionnante – sur les origines de la Première Guerre mondiale. En cette veille de commémorations, le souci de l’auteur est de ne pas voir le politiquement correct occulter les leçons selon lui les plus centrales de ce premier suicide de l'Europe que fut 1914. Première et seconde guerres doivent être lues comme inséparables, la seconde étant le prolongement de la première (et non de Versailles), qui eut des causes géopolitiques et non économiques. Elle était (la Première Guerre mondiale toujours) évitable car due aux erreurs de dirigeants médiocres, davantage qu’à une machine infernale attribuée tour à tour au « système » des alliances, ou à la malédiction du nationalisme. Pour ce premier volet, l’homme politique cultivé et curieux qu’est Jean-Pierre Chevènement relit et commente le débat intellectuel sur les deux rives du Rhin, discute la science politique (Thomas Lindemann) ou l’histoire (Georges-Henri Soutou). Il relève les étrangetés de cette période, qui a vu notamment la puissance montante prendre elle-même le risque de la guerre alors que le temps jouait pour elle. Le deuxième livre est plus attendu. Intitulée « D’une mondialisation l’autre », cette partie propose un panorama géopolitique qui donne l’occasion d’une violente charge contre la construction européenne, le libéralisme, le marché, la domination américaine. On retrouve là le Chevènement connu, qui émaille toutefois son propos d’indices intéressants : l'Allemagne ne nourrit plus de rêve de domination dont elle n’aurait d’ailleurs plus les moyens, et le Sonderweg a vécu (p.145) ; la situation de 2013, avec la montée en puissance de la Chine, n’est pas comparable à 1913 et il faut donc se garder de tout parallèle hâtif, même si la Chine d’aujourd’hui a en commun avec l'Allemagne d’hier une caste militaire autonome et capable d’imposer sa vision au pouvoir politique ; enfin l’auteur ne croit pas à une transition de puissance au bénéfice exclusif de Pékin, qui connaît trop peu le monde et que le monde connaît trop peu. La troisième partie enfin, propose des pistes pour sortir de l’impasse. Outre les provocations d’usage qui ne manqueront pas de faire débat (« une politique européenne à la Laval », p.204, l'Europe « Titanic », ou la Grande-Bretagne refusant d’être « un Land » de l'Allemagne), l’ouvrage soutient l’idée de la sortie de l’euro pour les pays sud-européens en difficulté (option déjà émise par H-W. Sinn en 2012), et plus exactement le retour à une monnaie commune plutôt qu’unique. Déplorant le décrochage français pour lequel on ne saurait incriminer l'Allemagne, il préconise finalement un retour à l'Europe des nations à la De Gaulle, fondée sur un tandem franco-allemand retrouvé, mais qui saurait enfin se parler franchement.

La hantise du déclin n’est pas nouvelle pour l’homme politique (La France est-elle finie ?, s’interrogeait-il en 2011), ni celle de la relation franco-allemande (France Allemagne : parlons franc, 1996). l'Allemagne de Jean-Pierre Chevènement, grande Suisse mais petite Chine (par sa politique extérieure presque exclusivement commerciale), est bien au cœur du processus européen, dont elle s’éloigne pourtant, en se tournant de plus en plus vers les grands émergents qu’elle ménage au point de refuser de soutenir Paris et Londres dans l’affaire libyenne de 2011. Là se trouve tout le paradoxe : l'Allemagne finit par se désintéresser elle-même de cette Europe qu’elle a contribué à affaiblir en lui imposant ses méthodes, à force d’avoir réussi à la dominer par la monnaie. Et la France, avec qui la parité n’est plus qu’une chimère, n’a d’autre choix que de reparler à l'Allemagne pour sauver l'Europe, et empêcher cette dernière comme elle-même de sortir de l’Histoire. Reste à savoir si, outre Rhin, la préoccupation est la même, et si l’élément français de ce tandem conserve la même centralité.

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