mardi 9 juillet 2013

J-P. Filiu, Le nouveau Moyen-Orient



J-P. Filiu, Le nouveau Moyen-Orient. Les peuples à l’heure de la révolution syrienne, Fayard, Paris, 2013
 

Ce nouveau travail proposé par Jean-Pierre Filiu (après La Révolution arabe: Dix leçons sur le soulèvement démocratique, en 2011, et Histoire de Gaza, en 2012), se compose de trois parties distinctes. Un retour, par l’historien qu’il est, sur l’histoire de la Syrie (p.19-110), suivi par une chronique précise du drame actuel, décomposée en « saisons » de la révolution jusqu’à la fin 2012 (p.111-278), et enfin une partie plus analytique intitulée « l’heure des peuples » (p.279-356), le tout accompagné d’annexes et de nombreuses notes.

On y retrouve trois marques de fabrique de l’auteur : la puissance de travail, l’engagement et l’optimisme. Nul besoin de revenir sur le premier point, connu et reconnu : la précision du déroulé, l’appareil de notes, la première partie historique surtout, constituent ce qu’il est convenu d’appeler dans l’université « une somme ». Engagement aussi : l’auteur ne ménage ni le régime syrien, « Etat de barbarie » (d’après l’expression de Michel Seurat), ni les faiblesses de la communauté internationale à son égard (Kofi Annan est critiqué sans ménagement), et ses atermoiements face à cette nouvelle guerre d’Espagne, avec laquelle le parallèle est souvent établi, et dans laquelle on retrouve, en face, un autre axe, qui va cette fois de Téhéran à Moscou avec Pékin comme compagnon de route. Optimisme enfin car, tout comme il croyait en la renaissance arabe dans sa Révolution arabe de 2011, Jean-Pierre Filiu persiste, dans ses dix leçons revisitées deux ans plus tard en fin d’ouvrage, à croire à la victoire d’un camp éclairé face à un régime « sapé, grignoté, refoulé », dans un pays où « la disparition des services et des chabiha rend une vie normale enfin possible » : « L’ancien régime est mis à bas, […] voici venue l’heure des peuples », annonce-t-il dans ses deux dernières pages. A l’heure où il a écrit ses lignes pourtant, et même à l’heure où nous les lisons, le destin n’a pas encore tranché.

Incontestablement, l’ouvrage – au titre trompeur car ce « Moyen-Orient » se concentre tout de même sur la Syrie – donne à réfléchir, et l’on aimerait débattre pendant des heures avec l’auteur. Reprenant les catégories de Bernard Rougier dans son Oumma en fragments (p.245), des trois figures du « combattant » (nationaliste), du « jihadiste » (religieux et transnational), et du « résistant » (pro-Assad et pro-iranien par anti-impérialisme), il situe l’opposition syrienne dans la première famille, alors que beaucoup craignent une dérive vers la deuxième, aidée en cela par des puissances extérieures du Golfe (par ailleurs en concurrence entre elles sur bien des registres). Réaffirmant que les Arabes ne sont pas une exception, il se montre optimiste encore sur les processus politiques qui ont suivi les révolutions tunisienne, égyptienne, libyenne : mais les troubles de 2013 n’assombrissent-ils pas le paysage ? A juste titre, il relativise fortement l’opposition sunnites-chi’ites, d’abord construction de certains régimes sunnites (voir également la La Syrie de Bashar Al-Assad de S. Belhadj, qui préfère insister sur l’alliance alaouites / sunnites) : mais ce discours sur un hypothétique « axe chi’ite », à force d’être performatif, ne devient-il pas prophétie auto-réalisatrice ? Il se réjouit de la fin du culte du chef dans les nouveaux régimes arabes, avec un Morsi en retrait ou un Ghannouchi en arrière-plan. Mais cette mise au second plan du chef ne provient-elle pas d’abord d’un processus décisionnel et d’une sociologie du pouvoir désormais plus opaques, où la figure de proue n’est plus nécessairement le vrai décideur ? On le suit parfaitement, ailleurs, sur le rôle de la jeunesse, la centralité jamais démentie de la question palestinienne, ou encore l’importance toute relative des réseaux sociaux dans les révolutions arabes, importance pourtant célébrée démesurément par la presse occidentale. On apprécie particulièrement l’examen du système de politique étrangère mis en place par les Assad avec ses piliers, notamment la carte libanaise, la double alliance iranienne et russe, jusqu’à il y a peu l’argent du Golfe, et la démonstration vis-à-vis de l’Occident du caractère incontournable du régime baasiste (notons au passage que sur ces cinq éléments, trois – et peut-être trois et demi dans certaines capitales occidentales – restent d’actualité à l’été 2013).

Jean-Pierre Filiu est de ceux qui ont bien connu la Syrie et veulent l’aimer encore, ou l‘aimer enfin. On lit, on apprend, on réagit, on partage : mission accomplie, une fois de plus.

FCh

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