lundi 28 janvier 2013

Zaki LAIDI, David SANGER, Justin VAISSE : sur la politique étrangère d'Obama



   



-          Z. LAIDI, Le monde selon Obama. La politique étrangère des Etats-Unis, Champs Flammarion, Paris, 2012
-          D. SANGER, Confront and Conceal: Obama's Secret Wars and Surprising Use of American Power, Crown Publishing Group, New York, 2012
-          J. VAISSE, Obama et sa politique étrangère, Odile Jacob, Paris, 2012


Entre autres ouvrages récents établissant un bilan de l’action extérieure du président Obama dans son premier mandat, retenons ce mois-ci – avant d’en voir d’autres plus tard – deux livres français (ceux de Zaki Laïdi et de Justin Vaïsse), et un ouvrage américain : celui du journaliste David Sanger.
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Zaki Laïdi, dont nous connaissions les travaux récents sur l'Europe, revient à l’Amérique avec un essai important (qui a également donné lieu à un film, « Obama, l’homme qui voulait changer le monde »), seconde édition remise à jour d’une mouture légèrement antérieure. Ce travail porte la griffe académique en ce qu’il part d’une analyse sur l’acteur confronté au système, et surtout en ce qu’il teste tout au long de la démonstration une hypothèse théorique forte : Obama illustrerait à merveille la théorie réaliste. Il incarne même « le grand retour du réalisme » dans la  politique étrangère américaine. Cinq critères sont retenus par Zaki Laïdi à cet égard, qui permettent à la fois de définir et de mesurer le réalisme de politique étrangère. 1- La répudiation du messianisme idéologique dans le discours politique ; 2- la place accordée aux grands enjeux classiques de sécurité et aux grands Etats, indépendamment des choix politiques internes de ces derniers ; 3- la capacité à obtenir le soutien d’anciens adversaires dans le rapport de force global ; 4- la recherche d’accommodements avec des adversaires actuels, au risque de contrarier des alliés ; 5- le refus d’un engagement militaire extérieur contraire aux intérêts vitaux. Sur tous ces points, l'administration Obama a pratiqué à un moment ou à un autre le réalisme. Le vocabulaire utilisé par son discours tranche aussi nettement avec celui de l'administration Bush, quoiqu’en disent les quelques observateurs qui voulaient voir une continuité entre les deux présidents. Là où George W. Bush insistait sur les notions de « guerre contre la terreur » (citée à 72 reprises dans ses mandats), ou encore de « monde libre », Barack Obama (qui n’emploie presque jamais ces termes), évoque des dossiers concrets : TNP, changement climatique, Al Qaida... Il est intéressant de constater que ni l’un ni l’autre, en revanche, n’évoquent le multilatéralisme ni la multipolarité. Aux Etats-Unis où l’on aime conclure rapidement à l’existence d’une doctrine (doctrine Powell, Bush, Obama…), celle de Barack Obama pourrait bien être le « minilatéralisme » comme choix rationnel face à une multipolarité complexe. Des grands dossiers affrontés par l'administration entre 2008 et 2012, Z. Laïdi retient, dans la deuxième partie de l’ouvrage, l'Irak, l’Afghanistan, le printemps arabe et la relation avec l'Europe. Sur tous ces dossiers qui ont pourtant connu des bonheurs inégaux (et ces derniers chapitres constituent également de bons mémos sur les régions évoquées), l’Amérique garde sa capacité « d’assurance et de réassurance » auprès de ses alliés, ce qui prolonge sa puissance, à l’heure de la montée en puissance de nouveaux défis.

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Sur la base de sources du plus haut niveau, le Confront and Conceal de David Sanger, correspondant du New York Times, nous livre de son côté un récit de plusieurs fronts gérés par Obama : l’ « Afpak » d’abord, l’Iran ensuite, puis l’usage des drones et des cyber-attaques, les printemps arabes, la Chine et la Corée du Nord ensuite. Le volume a naturellement les défauts et les qualités d’un travail de grand journaliste d’investigation. Informé, précis, il retrace le processus décisionnel américain à force de témoignages, met en scène les acteurs, les fait parler, pour livrer au final une trame qui se lit comme un roman d’espionnage. Dans la tradition des livres de cette catégorie (on pense à Bob Woodward et son Obama’s Wars), c’est davantage le lecteur qui se fait son jugement à partir de la narration, que l’auteur qui apporte sa valeur ajoutée analytique. On y voit un Barack Obama conscient des mutations du monde, sachant aller à l’encontre des frilosités de ses conseillers (sur le raid contre Ben Laden par exemple), n’hésitant pas à ouvrir l’ère de la cyber-guerre, arbitrant entre son entourage le plus prompt à changer les règles du jeu international (Suzanne Rice, Samantha Power), les adeptes de la Realpolitik la plus cynique (Gates, Donilon), et ceux qui fluctuent entre les deux (Hillary Clinton). On y voit également une administration qui passe plus de temps sur le dossier iranien que sur l’Afghanistan, ou s’interroge sur les intentions de la Chine. On y lit des passages captivants, retraçant des situations lointaines (comme le très bon passage sur l’Egypte, que l’auteur connaît bien). Mais comme souvent dans cet exercice, le lecteur est tenu de croire le narrateur sur la foi de ses entrées politiques. Comme souvent encore, l’ouvrage fait partie d’un ensemble qui, reconstitué, produit un storytelling consensuel largement diffusé, utile à l’analyste et de surcroît agréable à lire, mais en partie inspiré par les décideurs eux-mêmes, qui sont à la source des sources, si l’on peut dire. Comme souvent également, le lecteur européen restera sceptique face à une focalisation du récit sur le seul processus décisionnel américain : la France apparaît à peine sur l’épisode libyen, sinon pour perturber l’alliance, « détournée » à des fins électoralistes. C’est un peu court sur le rôle de Paris et de Londres dans ce dossier. Mais comme souvent finalement, on apprend beaucoup en lisant ces professionnels de l’information qui savent raconter, et le public ne boude pas son plaisir.
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L’ouvrage de Justin Vaïsse (Barack Obama et sa politique étrangère – 2008-2012), spécialiste français reconnu en poste à la Brookings Institution de Washington, est plus analytique et plus académique, comme en témoigne une bibliographie qui fait place davantage aux ouvrages qu’aux articles de presse ou aux blogs (comme chez Sanger). Même s’il reprend des éléments de l’ouvrage américain cité à plusieurs reprises, il va plus loin sur certains dossiers, notamment sur la gestion par le président Obama de l’enjeu israélo-palestinien, sur le pivot asiatique, sur la relation avec les BRICS. Le premier de ces enjeux est clairement vu par l’auteur comme un échec majeur : sous-estimant l’intransigeance et les dynamiques politiques israéliennes, le chef de l’exécutif a adopté une stratégie frontale et inquiété l'Etat hébreu par ses ouvertures au monde musulman. Le deuxième enjeu – le pivot – est lu comme la ligne directrice du premier mandat : Obama a fait entrer l’Amérique dans le XXIe siècle, en la sortant de deux guerres ruineuses (Afghanistan et Irak) pour se consacrer à l’avenir. Le troisième enjeu – la relations avec les BRICS – fait l’objet d’une des analyses les plus originales du  livre. Conscient de nouveaux équilibres mus par de nouveaux acteurs, Barack Obama a tendu la main aux grands émergents non occidentaux. Et il a buté sur un triple obstacle : bien que démocratiques, certains grands pays du Sud (Inde, Brésil, Indonésie, Turquie, afrique du Sud…) demeurent anti-impérialistes et tiers-mondistes, rétifs à une coopération avec les Etats-Unis sur les grands dossiers ; ils demeurent par ailleurs « provincialistes », c'est-à-dire préoccupés d’abord par leur environnement géopolitique immédiat, et peu enclins à s’investir dans des problématiques globales ; enfin, leur libéralisme s’arrête où commence la défense de leurs intérêts nationaux. Ils n’ont pas la même foi en les valeurs démocratiques-libérales que les Etats-Unis. Au final, le travail de Justin Vaïsse a le mérite de s’engager sur plusieurs propositions de bilan. Un bilan de la politique étrangère des Etats-Unis entre 2008 et 2012, d’abord. L’auteur y voit, dans sa conclusion, cinq succès et cinq échecs principaux. Du côté des succès : 1- la victoire contre Al Qaida (notamment avec la mort de Ben Laden) ;  2- une relation de puissance à puissance avec Pékin qui si elle n’est pas parfaite, est rationnelle et préserve le rang des Etats-Unis comme puissance du pacifique ;  3- une réponse aux printemps arabes qui a finalement placé les Etats-Unis du bon côté de l’Histoire ; 4- un lien renforcé avec les alliés traditionnels, en Europe et en Asie ; 5- un pivot bien amorcé. Du côté des échecs : 1- un sentiment de déception dans le monde, où l’anti-américanisme a régressé, mais où les frilosités et reculs de l’administration (sur le climat, sur Guantanamo…) ont refroidi les attentes ; 2- le dossier israélo-palestinien, plus bloqué que jamais ; 3- l’échec de la main tendue aux rogue states, de l’Iran à la corée du nord ; 4- la gestion des grands problèmes globaux, pour laquelle Obama n’a pas trouvé de coalition mondiale ; 5- enfin la redéfinition de la puissance américaine, victime en grande partie de la crise économique. Bilan de la personnalité du président lui-même, enfin : Justin Vaïsse articule son ouvrage en cinq grands temps, qui correspondent à autant de facettes du locataire de la Maison Blanche. Obama fut tour à tour, ou à la fois : celui qui a tourné la page désastreuse des années Bush, l’homme du pivot, le diplomate réaliste très à l’aise dans la Realpolitik, le libérateur des peuples arabes lors des printemps, mais aussi « le terrible », qui a lancé la première cyber-attaque de grande ampleur (contre l’Iran) et multiplié les frappes de drones. Un portrait complet, forcément contestable sur certains, points, mais qui donne à réfléchir.

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