dimanche 23 mai 2021

Dix ans après les « printemps arabes » : feu l’influence française ?

 


On se souvient d’abord d’une confusion extrême. La démission de Michèle Alliot-Marie en février 2011, à la suite de ses propos sur la situation tunisienne, trois mois après sa nomination au quai d’Orsay. La disparition de plusieurs interlocuteurs arabes encombrants mais familiers. Un processus décisionnel qui semble flotter malgré les efforts d’Alain Juppé, appelé pour redresser la machine diplomatique. La campagne libyenne de Bernard-Henri Lévy. Puis les regrets acerbes de Barack Obama pour avoir suivi la France en Libye.

2On se remémore ensuite un sentiment d’impuissance en réalité plus profond, plus ancien. L’attentat contre le Drakkar, quartier général des forces françaises à Beyrouth, en 1983, et le départ de cette France, dont les dirigeants assuraient qu’elle « n’avait pas d’ennemis ». Une Europe absente du processus israélo-palestinien supervisé par les États-Unis après 1991, et qui arrive trop tard, à Barcelone en 1995, pour accompagner une paix qui n’existe déjà plus. Les efforts français pour rester dans le jeu proche-oriental après les bombardements israéliens de Cana en 1996. Les navettes quasi mensuelles, mais vaines de Bernard Kouchner en 2007 pour tenter de trouver une issue à la crise institutionnelle libanaise, laquelle sera finalement dénouée à Doha.

3Bien sûr, il y eut des images fortes. Jacques Chirac dans la vieille ville de Jérusalem en 1996, houspillant la sécurité israélienne au plus grand bonheur des télévisions arabes. Jacques Chirac encore, quelques mois plus tôt à l’Université du Caire, appelant à une nouvelle politique arabe de la France. Jacques Chirac, toujours, recevant un accueil triomphal fin 2001 à Bab El-Oued. Jacques Chirac, surtout, s’opposant à la guerre états-unienne en Irak en 2003. Ces images ne sont pas négligeables et restent dans les mémoires. Elles rappellent que la France est là. On cherchera d’ailleurs à en créer de nouvelles : Emmanuel Macron à Beyrouth, prenant une femme libanaise dans ses bras au lendemain de l’explosion du 4 août 2020, après des mois de protestations contre un système moribond.

4Mais ces images ne changent pas la réalité profonde. La France subit une séquence difficile en Méditerranée depuis les « printemps arabes ». La région va de Charybde en Scylla. Et les temps qui s’annoncent risquent de réduire encore la marge de manœuvre.

Une séquence difficile

5Le « petit roi » Hussein de Jordanie entretenait des relations de confiance avec la France. Lors du voyage de François Mitterrand au royaume hachémite en novembre 1992, l’arrivée du Concorde présidentiel avait été filmée de longues minutes en direct, sur une télévision jordanienne fascinée par le faste majestueux de ce drôle d’oiseau français. C’est ensuite à l’hôtel Old Cataract d’Assouan, en 1995, que François Mitterrand choisit de passer son dernier Noël, sous la fidèle bienveillance d’Hosni Moubarak. Le « Docteur Chirac », lui, était régulièrement l’un des premiers acteurs informés par Yasser Arafat, au retour de ses voyages et discussions diplomatiques. Il félicitait le président tunisien Zine El-Abidine Ben Ali de ses scores improbables aux élections présidentielles : 99,45 % en 1999, 94,49 % en 2004. Il était l’ami de Rafic Hariri, dont il écoutait les conseils sur la politique moyen-orientale. Hassan II du Maroc, dont il était un intime, fut, avec la Garde royale marocaine, son invité d’honneur aux cérémonies du 14 juillet 1999.

Changement d’époque

6Mais déjà, une page d’histoire se tournait. D’abord avec la disparition physique ou politique de ceux qui l’avaient écrite. 


Lire la suite dans Revue internationale et stratégique 2021/1 (N° 121), pages 151 à 160

vendredi 12 mars 2021

Sur La France dans le monde (CNRS Edition, 2021)

 

« La France dans le monde » – 3 questions à Frédéric Charillon

Édito
12 mars 2021


Professeur en science politique à l’Université Clermont Auvergne, à l’ESSEC, Sciences Po et l’ENA, ancien directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), Frédéric Charillon répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de La France dans le monde qui parait sous sa direction chez CNRS éditions. 

Vous parlez d’une nouvelle sociologie de la diplomatie française, formée par des écoles devenues américanisées comme Sciences-Po. Quel est l’impact sur la détermination notre politique étrangère ? 

L’hypothèse avait été émise par Christian Lequesne dans ses recherches sur « l’ethnographie du Quai d’Orsay », notant l’évolution de cette école depuis quelques années. À partir du moment où de nombreux diplomates français passent par une institution qui propose des programmes d’échange dans le monde anglo-saxon (et ailleurs), leur perception de la place de la France dans le monde n’est plus la même. Parfois pour le meilleur, mais pas toujours… Là où l’on croyait, peut-être de façon naïve, à une « exception française », on se prend désormais à trouver cette idée ringarde. Ce qui pose d’autres problèmes.

Faut-il alors diversifier davantage les trajectoires des diplomates, qui pourraient suivre des formations plus variées les mettant au contact de l’altérité, plus loin de leur zone de confort ? Car il est toujours périlleux de subir les modes d’un seul courant dominant : après le néoconservatisme, verra-t-on des promotions tentées par le trumpisme, la « post-vérité » ou au contraire la cancel culture ? Il ne s’agit pas ici d’empêcher quiconque d’avoir une expérience américaine, indispensable pour qui veut comprendre les relations internationales. Mais il est tout aussi indispensable de multiplier les rencontres culturelles, d’entendre les voix du monde dans leur pluralité. Nous avons en France des étudiants curieux de tout, et des diplomates salués pour leur compétence et leur esprit de synthèse : sachons en tirer le maximum.

Comment maintenir notre influence puisque vous déplorez la diminution de 50% de nos moyens, dans certains secteurs comme le culturel, entre 1986 et 2016 ? 

La notion d’influence doit faire en effet l’objet d’une réflexion. On oublie souvent trois choses. 1- Elle ne peut pas être une simple incantation. L’influence ne se décrète pas, elle se cultive à long terme. Il ne fait pas sens de dire « nous avons depuis ce matin une diplomatie d’influence ». 2- L’influence n’est pas une fin en soi. C’est un moyen. Ce qui signifie que les objectifs doivent en être bien définis. La question est : « qui voulons-nous influencer, pour obtenir quoi, dans quel domaine, et pour servir quels intérêts ? ». Et non pas : « notre objectif : être influents ». 3- Dès lors, l’influence exige des moyens. Il faut que l’influencé trouve son intérêt à suivre l’influenceur. Les plus grandes puissances le savent, comme les États-Unis ou la Chine, qui mettent ces moyens sur la table pour arriver à leurs fins. D’autres, qui ont des moyens plus limités comme la Russie ou la Turquie, élaborent une stratégie en conséquence, avec des priorités plus ciblées. Mais clamer « nous allons développer une stratégie d’influence » pour ajouter immédiatement « à moyens constants », est une chimère.

Nous en revenons donc à votre question : comment maintenir notre influence dans le monde d’aujourd’hui en diminuant nos moyens, alors que les défis se multiplient et que les luttes d’influence sont partout ? La réponse est simple : on ne peut pas, surtout si l’influence ne fait pas l’objet d’une définition précise. Les moyens doivent suivre les ambitions.

Vous estimez que la voix de la France a fini par perdre en cohérence en devenant moins audible… 

Oui, et c’est d’ailleurs aussi le cas de beaucoup d’États ces dernières années : les relations internationales sont complexes, les dossiers et les acteurs se multiplient, il est donc de plus en plus difficile d’imprimer une marque à une politique étrangère, qui soit identifiable aussi bien sur les conflits du Proche-Orient que sur le réchauffement climatique, en passant par Huawei ou Boko Haram, face à des interlocuteurs qui vont de Vladimir Poutine à Greta Thunberg. Des leaders comme Tony Blair ont tenté (on appelle cela le « nation branding ») de proclamer un fil conducteur (une politique étrangère « éthique », annonçait-il en 1997, mais on connaît la suite). Des pays, comme la Suède, tentent d’incarner une posture (en l’occurrence une « politique étrangère féministe », depuis la ministre Margot Wallstrom). Mais cet exercice de communication est difficile.

Sous le général de Gaulle, la France avait une ligne reconnue, qui s’est perpétuée sous plusieurs de ses successeurs, consistant à être un pays occidental allié des États-Unis, mais libre de ses propos et universaliste dans son rapport au monde. Une ligne que Hubert Védrine a résumée par la formule « Amis, alliés, mais pas alignés ». Le refus de la guerre américaine en Irak, en 2003, en fut l’une des dernières manifestations claires. Nicolas Sarkozy n’aura pas été si occidentaliste qu’on lui a reproché, ni François Hollande si indéterminé qu’on l’a dit. Mais le message s’est brouillé. À plusieurs reprises, l’exécutif a même parlé de plusieurs voix, par exemple lors de la crise de Gaza à l’été 2014. Emmanuel Macron a ensuite voulu redonner une ligne claire. Il a annoncé dans sa campagne le souhait d’une puissance « indépendante » (ce qui n’était pas le plus original), « européenne » (ce qui était déjà courageux dans un contexte où l’Europe ne faisait plus recette), et « humaniste », ce qui était intéressant, mais méritait clarification. On a ensuite compris de ses discours qu’il soutenait une vision libérale et multilatéraliste, opposée aux nationalismes illibéraux, avec entre autres priorités la lutte contre les inégalités. Mais les moyens ont manqué, l’Europe s’est divisée, les partenaires classiques ont connu des troubles (le trumpisme, le Brexit, la fin de règne d’Angela Merkel), des dossiers ont posé question (Libye), des tentatives se sont heurtées à une dure réalité (Liban), enfin le Covid a occupé l’agenda international. La réinvention du message français reste donc nécessaire. Là encore, il faut s’en donner les moyens.

dimanche 28 février 2021

Si la rivalité sino-américaine tournait mal

 

What if? (5) Si la rivalité sino-américaine tournait mal». La chronique de Frédéric Charillon

« De part et d’autre du Pacifique se trouvent des faucons qui rêvent d’en découdre. Même sans imaginer de confrontation militaire, les terrains du rapport de force s’accumulent »


      

« Jusqu’ici tout va bien », pour reprendre le leitmotiv du film La Haine. L’Amérique de Joe Biden adopte une posture plus prévisible et un ton plus modéré que l’administration Trump face à Pékin. La Chine n’a pas intérêt à une confrontation avec des Etats-Unis toujours surpuissants. Donald Trump, tout en multipliant les pommes de discordes (Huawei, TikTok, tarifs douaniers…), n’a jamais coupé les ponts. Avec la nomination dans la nouvelle équipe diplomatique de quelques connaisseurs de la Chine déterminés à en contenir la montée en puissance (Ely RatnerKathleen HicksMira Rapp-HooperMelanie Hart), Joe Biden s’inscrit dans un consensus national bipartisan, mais insiste davantage sur la compétition que sur la confrontation. La trajectoire des deux grands rivaux reste donc sous contrôle. Les choses pourraient toutefois s’envenimer.

En premier lieu, un choc frontal n’est pas à exclure : si une montée préméditée aux extrêmes est peu probable, les occasions de dérapage ne manquent pas. Plus vraisemblable, l’augmentation des tensions indirectes qui, accumulées, finiraient par instaurer un climat de guerre froide aux inévitables conséquences économiques. Dans les deux cas l’Europe se retrouverait en position difficile, sans moyen de se distancier de la protection américaine, ni de résister aux tentations économiques chinoises.

Risques de choc frontal


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lundi 30 novembre 2020

À quoi pourrait ressembler la politique étrangère de Joe Biden ?

 

À quoi pourrait ressembler la politique étrangère de Joe Biden ?

 
Angela Weiss/AFP

À quoi ressemblera la politique étrangère d’une Amérique post-trumpienne, avec Joseph Biden et Kamala Harris à sa tête ? Assistera-t-on à la fermeture d’une parenthèse baroque et tumultueuse, pour retrouver la « vie internationale d’avant » ? Verra-t-on se bâtir un nouveau socle pour une nouvelle diplomatie américaine ?

L’après-Trump, du point de vue de l’action extérieure américaine, pose d’abord beaucoup de questions. En la matière, le 46e président devra tenir compte d’une nouvelle donne, inédite aussi bien du point de vue intérieur américain que du point de vue international.

Si Joseph Biden, contrairement à son prédécesseur, est un connaisseur des questions mondiales, sa tâche ne sera pas aisée pour autant.

Les questions

La première interrogation qui vient à l’esprit a trait à l’importance des dégâts causés par un Donald Trump qui a fait évoluer les fondamentaux en quatre ans. Ces dégâts sont-ils réparables ? Suffisamment pour permettre à Biden de se replacer dans la ligne de la « retenue » propre aux années Obama ? L’ancien président (2009-2017) avait amorcé un retrait de la scène mondiale, avec un moindre recours à l’intervention militaire, des discours d’apaisement (à West Point en mai 2014), le choix de ne pas frapper le régime syrien en août 2013, ou des concepts novateurs, comme le « leadership from behind » en Libye, en 2011. Il s’était efforcé de donner une cohérence à l’action extérieure américaine. Cohérence parfois jugée trop intellectuelle, et mal comprise de ses principaux alliés, mais cohérence quand même, surtout comparée à l’action erratique et impulsive de son successeur.

Autre question majeure : qui entourera Biden sur les dossiers internationaux ? Le long parcours politique du nouveau président lui confère une expérience rare. Il a notamment présidé la commission des Affaires étrangères du Sénat. On peut imaginer auprès de lui le retour de noms connus : Antony BlinkenSusan RiceMichelle Flournoy – peut-être comme secrétaire à la défense –, Samantha PowerElisabeth Sherwood-Randall mais aussi William et Nicholas Burns… Autant de penseurs chevronnés de l’action extérieure démocrate. Les sénateurs auront également leur importance : Bob Menendez – la vieille garde –, mais aussi Chris Murphy ou Chris Coons (issu de la « Delaware connection » et qui pourrait devenir secrétaire d’État). Il ne faut pas exclure non plus l’inclusion d’une partie du cercle de l’ancien sénateur républicain John McCain, disparu en 2018 : les équipes ont travaillé ensemble, une estime mutuelle bipartisane existe. Julie Smith et Jeff Prescott, anciens Deputy National Security Advisors de Biden lorsqu’il était vice-président, pourraient revenir.

Y a-t-il des courants identifiables parmi eux ? Un débat existe entre « restaurationists » et « reformers » – partisans de restaurer la politique étrangère traditionnelle ou, à l’inverse, de prendre un nouveau départ –, notamment sur la question d’un découplage avec la Chine, sur l’alliance avec les démocraties et sur la promotion internationale des normes libérales. Un courant progressiste au parti démocrate, plus enclin à la rupture (notamment dans un sens plus environnementaliste, ou plus porté vers le Sud que vers les alliés traditionnels des États-Unis, comme la vieille Europe), et centré autour des personnes de Bernie Sanders et Elisabeth Warren, peut également se faire entendre. Enfin, l’ancien candidat aux primaires démocrates Pete Buttigieg est l’une des figures réformatrices montantes, qui avait surpris par son charisme lors des primaires : certaines rumeurs l’annoncent comme possible ambassadeur aux Nations unies.

Drnière interrogation, et pas des moindres : quelle sera l’influence de la vice-présidente Kamala Harris, membre de la commission du renseignement au Sénat ? Sur quels dossiers internationaux aura-t-elle la main ? Comment voit-elle l’Europe (elle qui vient de la côte ouest), le Moyen-Orient, le monde émergent (elle qui a des origines indiennes et caribéennes) ? L’âge de Joseph Biden (78 ans) donne naturellement à la vice-présidence une importance inédite : Kamala Harris pourrait être amenée à poursuivre l’action du président dès la fin du premier mandat, voire terminer celui-ci si le titulaire connaissait des problèmes de santé.

Le contexte : une Amérique abîmée, un monde transformé

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mercredi 30 septembre 2020

Au chevet de Beyrouth, que peut la France pour le Liban ?



Article publié dans The Conversation

Emmanuel Macron se rend de nouveau à Beyrouth ce lundi 31 août. Sa première visite pour témoigner de l’amitié de la France au pays du cèdre datait du jeudi 6 août, juste après l'explosion sur le port de Beyrouth, un drame de plus dans « ce pays bien-aimé », pour reprendre les mots du journaliste Jean‑Dominique Merchet.

Un drame qui fait la « une » des médias français et qui émeut, comme tous les drames traversés par le Liban. Pourquoi le Liban nous touche-t-il à ce point ?

Les liens historiques de la France avec ce pays sont connus : « Le Liban c’est la famille de la France », résume le ministre des Affaires Étrangères Jean‑Yves le Drian. « Une évidence qui s’impose, parce que c’est le Liban, parce que c’est la France », dit le président français à son arrivée.

Un intérêt français ancien

Son intérêt pour le pays n’est pas nouveau. Il l’a marqué dès sa campagne électorale par une visite en janvier 2017, puis ses équipes diplomatiques ou les nominations importantes (à la tête de la DGSE par exemple) ont compté plusieurs diplomates anciennement en poste à Beyrouth.

Mais au-delà des mots, la double impuissance occidentale et libanaise a ramené depuis longtemps les émotions à une nostalgie dépitée, plutôt que d’en faire des moteurs pour l’action. « Aidez-nous à vous aider, bon sang ! », lançait, il y a peu, le même Jean‑Yves Le Drian, résigné, à un pays plongé dans une crise multiple.

Image d’ourvage de Robert Fisk
« Pauvre Liban », Pity the Nation, ouvrage de Robert Fisk, 1990. WikimediaCC BY

On se souvient de l’ouvrage du journaliste britannique Robert Fisk sur la guerre civile libanaise, Pity the Nationparu en 1990. Trente ans plus tard, on n’en finit toujours pas d’avoir pitié du « pauvre Liban ». Est-il enfin possible, cette fois, d’aller plus loin ?

L’émotion est vive aujourd’hui, encore faut-il en décrypter les ressorts : le Liban émeut pour des raisons romantiques sans doute nobles, mais il conviendrait d’être capable de traduire cette émotion politiquement et avec efficacité, ce qui jusqu’à présent n’a pas été le cas.

Que peut faire la France désormais, face aux grands « prédateurs » internationaux qui ne manqueront pas de suivre le « martyr » de Beyrouth avec intérêt ? Quels espoirs reste-t-il de promouvoir une certaine idée du Liban, et laquelle exactement ?

La violence du Liban

Les événements libanais remontent immédiatement au plus haut niveau des médias et de la décision politique en France. « On peut réveiller un président de la République en pleine nuit pour le Liban », nous confiait un diplomate français dans une discussion antérieure à l’explosion de Beyrouth. Il y a des raisons géopolitiques à cela.

La France connaît la violence du Liban : elle en a elle-même payé le prix avec l’assassinat de son ambassadeur Louis Delamare en 1981, l’attentat contre le quartier général des troupes françaises en 1983, ou plusieurs prises d’otages (dont le chercheur Michel Seurat ne revint jamais).

Un laboratoire permanent des rapports de force régionaux

Le pays reste par ailleurs un laboratoire permanent des rapports de force régionaux, comme l’a montré Bernard Rougier dans ses travaux (Le jihad au quotidien, 2004 ; L’oumma en fragments. Contrôler le sunnisme au Liban, 2011).

A l’inverse d’autres puissances qui voient le Liban comme un paramètre de l’enjeu syrien, Paris a tendance à voir la Syrie comme un paramètre (omniprésent) de l’enjeu libanais.

Au-delà de ce Liban qui compte régulièrement de nombreux ministres avec la double nationalité franco-libanaise, il y a la Méditerranée et le monde arabe, ce double voisinage stratégique crucial.

Il y a aussi les raisons affectives mais rationnelles. Si les Libanais restent proches de la France, cela signifie aussi que la France garde, grâce à eux, un peu d’influence ou au moins de visibilité en Méditerranée orientale.

Une influence française au Proche-Orient

Le Liban renvoie également à la question des chrétiens d’Orient, qui préoccupe Paris. D’autres puissances régionales ou partis libanais comme le Hezbollah n’ont pas manqué d’accuser la France et sa vision d’un Liban uniquement chrétien.

L’argument ne tient pas : on n’a jamais autant critiqué l’amitié franco-libanaise que lorsqu’elle était incarnée par Jacques Chirac et Rafic Hariri,lequel était… sunnite.

Le président Jacques Chirac en conversation avec le Premier Ministre libanais Rafic Hariri au palais de l’Elysée à Paris, le 28 septembre 1996. Pierre Verdy/AFP

En revanche, cette question est perçue comme légitime à Paris, non pas au nom du communautarisme mais à l’inverse, de l’universalisme : la France, estime-t-on, n’a pas à se cacher de défendre les minorités opprimées. Elle défend donc les chrétiens d’Orient aujourd’hui maltraités, comme elle a défendu les Kosovars musulmans à la fin des années 1990, ou les Rohingyas plus tard.

Le pouvoir de l’émotion


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